MONTRÉAL — Une course à la direction du Parti conservateur du Canada dans laquelle le député Pierre Poilievre affronterait Jean Charest serait «épique», estime le député québécois Alain Rayes. Mais il est loin d’être clair que l’ancien premier ministre remporterait la bataille.
Ce serait une «guerre de tranchées: membre par membre, carte de membership par carte de membership», alors que le parti est à «la croisée des chemins», a lancé mardi M. Rayes, qui a quitté son poste de lieutenant politique pour le Québec afin de militer pour une candidature de M. Charest.
M. Rayes estime que Jean Charest serait le candidat qui représente l’aile plus progressiste et de droite économique capable de rallier les «Blue Liberals», un terme du jargon politique faisant référence aux libéraux fiscalement plus à droite, mais socialement progressistes. À l’inverse, il a décrit Pierre Poilievre comme un politicien libertarien et «un peu plus sensationnaliste».
Jusqu’à présent, le seul participant à la course est le député de la région d’Ottawa Pierre Poilievre. M. Poilievre, qui compte déjà de nombreux appuis au sein du caucus, a un «style plutôt agressif», a dit le sénateur Jean-Guy Dagenais en entrevue avec La Presse Canadienne, estimant qu’il veut représenter «la faction plus de droite, plus radicale» du parti, ce qui «nous enlèverait des chances» de remporter les prochaines élections.
«On n’a pas besoin d’un chef agressif, on a besoin d’un chef rassembleur», a lancé M. Dagenais en affirmant être carrément au nombre de ceux qui ne seraient «pas confortables de travailler avec un style de leadership comme celui de M. Poilievre».
Enquête de l’UPAC
L’ancien président de l’Association des policières et policiers provinciaux du Québec n’a «pas hésité» à donner son appui à Jean Charest et se mettre à rêver aux «belles années de M. Mulroney». Il estime que M. Charest est un «leader expérimenté» qui sera capable de rassembler les différentes factions du parti et qu’un duel avec Pierre Poilievre mettrait «du piquant» dans la course.
Depuis son départ de la vie politique, Jean Charest est revenu à la pratique du droit. Il fait l’objet depuis de nombreuses années d’une enquête de l’Unité permanente anticorruption sur le financement du PLQ.
Cette enquête est «un pétard mouillé» et elle ne mènera «nulle part», a dit l’ex-policier qui avait un message pour l’UPAC: «Quand ça fait huit ans que vous faites une enquête, puis votre dossier ça l’aboutit pas, bien ce moment-là je considère que vous devez fermer le dossier, puis enlever cette épée de Damoclès au-dessus de M. Charest.»
Bien que Jean Charest soit un «debater magistral» et une «bête politique», il traîne des aspects négatifs de son passé qui ne sont «pas réglés», a également souligné une source conservatrice.
Travail de terrain
L’avance de Pierre Poilievre ne serait pas insurmontable selon elle, mais nécessiterait un travail de terrain et d’analyse du membership actuel. Récolter les appuis de tous les premiers ministres conservateurs du pays ne «changerait rien», a-t-elle lancé.
Une autre source bien au fait des dynamiques du parti estime cependant que Pierre Poilievre est si populaire en ce moment qu’il a une «longue longueur d’avance».
Cela s’expliquerait par le fait qu’il est en contact constant avec la base militante et par sa grande présence sur les réseaux sociaux. La vidéo dans laquelle il annonce sa candidature a été vue près de trois millions de fois au total sur Facebook, YouTube et Twitter.
Pour l’emporter, M. Charest devra faire signer un grand nombre de nouvelles cartes de membres et convaincre ceux qui veulent voter pour un autre candidat de lui donner leur deuxième ou troisième choix. Il aura aussi besoin de temps pour y arriver, ce qui nécessitera une longue course à la direction. La date du congrès n’est toujours pas connue.
L’ancien premier ministre ne doit pas non plus compter «automatiquement» sur les votes des membres du Québec – M. Charest ayant une posture de liberté individuelle sur les questions de liberté de religion –, mais plusieurs seraient probablement disposés à faire des «compromis idéologiques» pour voir un chef à la tête du parti qui vient du Québec.
«Le Canada a besoin de vous»
Dans une lettre ouverte publiée mardi dont M. Rayes est cosignataire, des députés conservateurs en appellent au «sens du devoir» de M. Charest et l’implorent de se lancer dans la course à la direction.
«Le Canada a besoin de vous», écrivent-ils en plaidant que celui qui a dirigé le Québec de 2003 à 2012 est «la personne tout indiquée» pour prendre les rênes de leur formation politique et surtout de déloger Justin Trudeau du pouvoir, soit l’enjeu «fondamental» de la course à la direction..
Le bureau de M. Charest a indiqué qu’il n’accorde pas d’entrevue pour le moment. Sa réflexion n’est cependant pas terminée, a assuré Alain Rayes en entrevue avec La Presse Canadienne, expliquant avoir parlé à l’ancien premier ministre et qu’il continue de «peser le pour et le contre, s’assurer qu’il y a un chemin vers la victoire, s’assurer qu’il a des appuis partout au pays».
Jean Charest, avocat de formation, aujourd’hui âgé de 63 ans, a été le «plus jeune ministre de l’histoire du Canada à 28 ans» dans le gouvernement progressiste-conservateur de Brian Mulroney, notent les signataires en retraçant sa feuille de route.
Son parcours l’a conduit à occuper plusieurs portefeuilles et à diriger le parti dès 1993 à la suite de l’humiliante défaite électorale de Kim Campbell où lui et la députée Elsie Wayne ont été les seuls élus du parti. M. Charest a multiplié la députation du parti, la faisant passer à 20 députés lors des élections de 1997.
M. Charest avait ensuite quitté la scène fédérale en 1998 et vogué vers Québec où il s’est fait élire chef du Parti libéral du Québec (PLQ) sous la pression populaire, puis député à l’Assemblée nationale.
«À l’évidence, aucun autre Canadien ne possède une feuille de route aussi bien garnie que la vôtre, tant dans le secteur public que privé. Vous êtes bâti sur mesure pour faire face à la sortie de crise que nous traversons actuellement avec la COVID-19, écrivent les signataires. Plus évident encore, votre compétence pour diriger notre pays ferait un immense contraste avec le gouvernement libéral actuel.»
En plus de M. Rayes, la lettre est signée par le député néo-écossais Rick Perkins, le sénateur Percy Mockler du Nouveau-Brunswick, l’ancien député et président du caucus de l’Ontario David Sweet, le chef de cabinet du premier ministre du Nouveau-Brunswick Louis Leger, la députée québécoise et ancienne ministre dans son gouvernement Dominique Vien, le député ontarien John Nater et l’ancien directeur du Fonds conservateur du Canada, Terre-Neuve-et-Labrador, Leo Power.
Les conservateurs n’ont plus de chef depuis que le caucus a montré la porte à Erin O’Toole au début du mois à la suite d’un mécontentement majeur à l’égard de son leadership après la défaite lors des élections générales de l’an dernier.
La députée manitobaine Candice Bergen a été choisie comme cheffe intérimaire du parti jusqu’à ce qu’un permanent soit choisi.