OTTAWA — De nombreux sénateurs ont exprimé de sérieuses réserves, mardi, quant à la pertinence de la Loi sur les mesures d’urgence pour mettre fin définitivement aux barrages illégaux.
Et plus le temps passe, plus les doutes de Julie Miville-Dechêne augmentent, a soutenu la sénatrice indépendante du Québec en entrevue avec La Presse Canadienne.
«Je peux vous dire que j’ai encore plus de réserves maintenant que j’en avais quand la Loi sur les mesures d’urgence a été proclamée par le gouvernement, étant donné qu’il n’y a plus de signe très visible qu’il y a en effet une urgence nationale à contenir à travers le Canada», a-t-elle dit au beau milieu du premier jour de débat pour les sénateurs.
La réflexion de Mme Miville-Dechêne repose sur le fait que les camions et opposants aux mesures sanitaires ne paralysent plus le centre-ville d’Ottawa depuis plusieurs jours.
«On ne peut prendre la décision que sur ce qu’on sait et sur ce qu’on voit. Autrement, ça veut dire qu’on donne un chèque en blanc au gouvernement», croit la sénatrice.
Après les députés, il reviendra bientôt aux représentants de la Chambre haute de voter pour ratifier ou révoquer, par le biais d’une motion, le recours à cette loi d’exception décrétée par le gouvernement de Justin Trudeau.
Mais en attendant d’en arriver au vote, les représentants du Sénat opposent leurs arguments au cours d’un débat sur la question, entamé mardi matin. La joute argumentaire pourrait très bien s’échelonner sur plusieurs jours.
Lundi soir, les sénateurs ont eu droit à une séance d’information technique donnée par le ministre de la Sécurité publique, Marco Mendicino, et d’autres représentants gouvernementaux.
Selon les dires de Mme Miville-Dechêne, le ministre a indiqué qu’il était en possession d’informations confidentielles qui contribuent à justifier le maintien des mesures exceptionnelles déjà en vigueur par décret.
«Dans ce cas-ci, il a même ajouté »Il faut avoir de la déférence envers le conseil des ministres »», a-t-elle affirmé.
Au Sénat, elle a manifesté ses inquiétudes qu’un «précédent dangereux» puisse être créé si le maintien de la Loi sur les mesures d’urgence repose sur des informations gardées secrètes.
Le représentant du gouvernement au Sénat, Marc Gold, à qui revient la tâche de répondre au barrage de questions durant le débat, a répliqué que la démonstration d’une menace réelle avait été faite bien que certains éléments de renseignement ne peuvent être partagés.
«La raison pour laquelle le gouvernement dit que le travail n’est pas fini, ce n’est pas basé (sur des éléments) dans le secret qu’on ne peut pas divulguer», a-t-il soutenu.
Le sénateur Gold a fait valoir que les preuves se trouvent dans les propos émis par des corps policiers ainsi que les intentions exprimées par des acteurs de la mobilisation anti-mesures sanitaires.
«Nous avons la preuve, dans les déclarations publiques, que tout le monde n’est pas retourné chez eux (pour ensuite) ouvrir la télévision pour regarder je ne sais quoi sur Netflix», a-t-il illustré.
Issue du vote incertaine
Il reste à voir si les réticences exprimées par de nombreux sénateurs seront suffisantes pour que ceux-ci votent contre la motion débattue.
Chose certaine, la facilitatrice du Groupe des sénateurs indépendants Raymonde Saint-Germain a signalé, durant son tour de parole, qu’elle estime que les pouvoirs de la Loi sur les mesures d’urgence sont encore nécessaires.
La leader du Groupe des sénateurs progressistes, Jane Cordy, a aussi indiqué qu’elle appuiera la motion.
«Les sénateurs indépendants ne partagent pas leur intention de vote (entre eux)et ne font pas de réunions de caucus. (…) Notre vote nous appartient totalement», a rappelé Julie Miville-Dechêne.
Les sénateurs conservateurs, pour leur part, n’ont pas mâché leurs mots à l’égard du gouvernement.
«Il est incapable de démontrer qu’il est impossible de faire face adéquatement à cette situation en utilisant le régime des autres lois du Canada. Puis, il ne parvient pas à établir que cette crise ait échappé à la capacité et au pouvoir d’intervention des provinces», a notamment lancé le sénateur Claude Carignan.
Le leader de l’opposition au Sénat, Don Plett, est quant à lui revenu sur le fait que les dispositions de la loi peuvent être appliquées partout au pays.
«Quand le premier ministre a invoqué la (loi), il a prétendu que (son recours) serait géographiquement ciblé. Et (…) le secrétaire parlementaire du ministre de la Justice a confirmé que la législation s’appliquait dans l’entièreté du Canada», a affirmé le sénateur du Manitoba.
Sur ce sujet, le sénateur Gold a répliqué que les pouvoirs extraordinaires ne pouvaient être utilisés par les forces policières seulement lorsque nécessaires. «Tout le pays est à risque d’événements (tels que ceux) qui ont donné lieu aux blocages sur les ponts ainsi qu’à l’occupation et au siège à Ottawa.»